6 octobre 2012

Education : La refondation fond...




Le doute s’installe au fil des journées de concertation.
Le phénomène est dangereux car le scepticisme, après une dure période de libéralisme autoritaire, rend très incertaine la mobilisation des enseignants pour garantir la réussite de la refondation annoncée. Dans la masse des témoignages, comptes-rendus, rapports, interventions, catalogue de revendications, commentaires, on a du mal à percevoir les leviers les plus déterminants pour proposer le changement, le faire comprendre et accepter, obtenir la mobilisation des acteurs dans les établissements.

Attendons la remise du rapport de la concertation au ministre, le mardi 9 octobre, à la Sorbonne, assemblée à laquelle je suis invité et que je commenterai dans les meilleurs délais sur le site éducavox. Dans l’attente et l’espoir, voici quelques réflexions pour insister sur quelques points forts pour une réelle refondation.


J’ai évoqué cette question dans une chronique précédente. Je proposais le numérique et le territoire comme étant deux thèmes neufs par rapport à l’histoire de l’école. Il s’agit de questions qui remettent en cause fondamentalement le fonctionnement et les pratiques de l’école actuelle. Aucune autre question n’a d’équivalent, en termes de bouleversements induits, depuis la crise de 1968 qui a imposé un nouveau regard sur la place de l’école dans la société et sur la place de l’élève dans l’école, mais dont les effets ont été absorbés par la ouate institutionnelle.
Nous vivons aujourd’hui un changement d’ère comme l’explique si bien Michel Serres.


Les collectivités territoriales prennent une place essentielle dans la vie du système, élargissant le champ de l’éducation pour tendre vers une conception moins scolaro centrée, plus globale et vers une réelle prise en compte du territoire.

Elles pousseront l’école à s’ouvrir et s’inscrire dans des projets territoriaux sans pour autant remettre en cause l’unité nationale et les fonctions régaliennes de l’Etat. Nous avons atteint le stade délicat où les élus, compte tenu de l’importance croissante de leur investissement demanderont des comptes, discuteront des projets éducatifs et voudront assumer leur responsabilité. L’école sera contrainte de changer. Mieux vaut qu’elle anticipe, même s’il est déjà un peu tard
 
Le numérique, je le redis inlassablement, s’il n’est pas détourné pour conforter, enjoliver les pratiques traditionnelles persistantes (une heure/un cours/une classe/une discipline…), est un puissant moteur possible dans la mesure où il impose à la fois :

- Un nouveau regard sur l’évolution exponentielle des savoirs de l’humanité et la remise en cause des disciplines scolaires cloisonnées. Une révision fondamentale et une recherche de cohérence entre finalités (que tout le monde oublie), programmes, un socle (et pas LE socle !), l’obligation de donner du sens aux savoirs scolaires et le goût d’apprendre

- La nécessaire prise en compte des savoirs et des compétences acquises hors de l’école

- L’indispensable retour de la pédagogie sans laquelle les outils sont sans grand intérêt. Etudier les potentialités des outils numériques pour étudier les procédures, les méthodes, les outils mentaux utilisés par les élèves

- Un nouveau type de rapports avec les collectivités qui ne pourront plus investir si elles ne connaissent pas l’intérêt réel du projet

- De nouvelles relations entre les acteurs de l’éducation. De la juxtaposition des actions à la mobilisation collective

- L’ouverture des établissements en dehors des heures scolaires pour développer l’éducation populaire et les échanges de savoirs, compte tenu du coût des investissements mais aussi du besoin de développer les échanges de savoirs, les rencontres intergénérationnelles.

- Un changement de l’architecture scolaire
 Il est évident que cette fois, après l’échec des réformes successives depuis 1945, si l’école n’est pas refondée et réorientée, elle risque de disparaître, d’autant plus vite que sa destruction a bien avancé au cours des 5 dernières années.

Pourtant, je suis frappé de constater que ce changement d’ère n’est pas perçu, pas traité, pas vraiment conscientisé par les acteurs et les responsables massivement attachés à l’amélioration de l’existant plutôt qu’à la refondation, pas problématisé avec une vision à long terme.

Dans un groupe de concertation, un intervenant déclarait : « On ne connaît pas quelles sont les ressources utilisées par les enseignants ». J’ai eu envie d’ajouter : « et on connaît encore moins comment ils utilisent ces ressources ». Je repensais à cette phrase terrible de Claude Thélot : « On ne sait pas ce qui se passe dans les classes » et à l’analyse très ancienne d’Ada Abraham détaillant la distinction entre le réel, l’idéalisé et l’idéal quand il s’agit de décrire ses propres pratiques.

Or, pour changer les pratiques, pour aller au-delà de la description des outils utilisés, pour entrer pleinement dans la qualitatif, dans les choix pédagogiques réels, dans les représentations des acteurs, dans les motivations explicites et implicites, dans les convictions qui conduisent à des choix conscients ou non, il faut une connaissance fine des réalités.

Il faut une observation méthodique, sans jugement de valeur, sans notation, de l’acte pédagogique : choix de la situation, activité réelle des élèves, analyse des procédures et méthodes, expression/communication maître/élèves, élève/élèves. Cette activité d’observation/problématisation partagée/recherche-action n’a rien à voir avec le constat des résultats partiels apparents, d’un tableau de bord et l’élaboration d’une feuille de route par des personnels d’encadrement qui seraient bien incapables de la mettre en œuvre.

Il est évident que les corps d’inspection auraient pu s’atteler à cette tâche essentielle s’ils n’avaient pas été transformés autoritairement en pilotes technocrates par un pouvoir ultra libéral dont le but inavoué était la destruction de l’école publique.

Pour refonder, il faudra donc une analyse partagée (acteurs et observateurs non hiérarques) des réalités, la problématisation non stigmatisante, et l’élaboration d’hypothèses pour la résolution des problèmes, un accompagnement de pair ou d’ex-pair/expert pour l’action. Faute de quoi la refondation passera à côté des vrais problèmes.

Dans le domaine du numérique par exemple, il s’agira certes de savoir quels ressources sont utilisées, mais surtout comment : pour conforter et enjoliver, moderniser en apparence les pratiques anciennes ou pour changer de modèle pédagogique, changer fondamentalement ?

Refonder les pratiques pour refonder l’école. Redonner toute sa place à la pédagogie, complètement déniée depuis 2007.

Le temps est venu de voir si l’espoir de la refondation sera respecté et si une pédagogie de la réforme permettra de remobiliser les acteurs et de leur redonner des raisons de s’enthousiasmer.

Source : EDUCAVOX

5 octobre 2012

Education : L'apport du jeu vidéo en question





Chaque enfant qui entre à l’Ecole est différent de par son histoire personnelle, de par ses passions, ses loisirs, de par ses points forts, ses points faibles, de par ses capacités cognitives. L’enjeu de l’Ecole est ainsi de gérer cette hétérogénéité, de permettre à chacun, aussi différent soit-il, de réussir. Cependant, force est de constater que, malgré les nombreux efforts mis en place chaque année par les enseignants dans leur(s) classe(s), les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.
 
Un outil permettant la prise en compte de toutes ces différences inhérentes à chacun se nomme la différenciation pédagogique. Selon Philippe Perrenoud[1], « différencier, c’est rompre avec la pédagogie frontale, la même leçon, les mêmes exercices pour tous ; c’est surtout mettre en place une organisation du travail et des dispositifs qui placent régulièrement chacun, chacune dans une situation optimale.

Cette organisation consiste à utiliser toutes les ressources disponibles, à jouer sur tous les paramètres, pour organiser les activités de telle sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. »

Cela se traduit souvent dans la classe par une adaptation du travail demandé en fonction des rythmes de chaque élève. Par exemple, un enfant qui s’avère être plus lent à écrire que le reste de la classe (pour des raisons qui peuvent d’ailleurs être médicales) pourra se voir dispensé d’écrire les consignes des exercices afin de conserver son « énergie cognitive » pour la résolution de la tâche principale demandée (celle qui fait l’objet de la compétence en cours d’apprentissage). On pourra également jouer sur le rythme d’acquisition des compétences.

Ainsi, un élève ayant des difficultés à mémoriser ses tables de multiplication pourra garder près de lui un tableau récapitulant lesdites tables lorsqu’il effectuera une multiplication posée. Cela lui permettra de mobiliser ses efforts sur la seule technique opératoire sans risquer d’être parasité (conflit cognitif) par un élément externe (le fait, dans le cas évoqué, qu’il ne sache pas encore ses tables). Il pourra donc acquérir la procédure de la technique opératoire puis remédier à son retard de mémorisation des tables de multiplication parallèlement à cela (à un autre moment de la journée). Ces deux exemples montrent bien l’apport de la différenciation pédagogique dans l’enseignement.
 
Cependant, les différences inhérentes à chacun ne sont pas toujours seulement liées aux rythmes de travail et d’acquisition des savoirs de chaque élève. Certaines différences qui existent entre les individus sont directement corrélées aux stratégies qu’ils mettent en œuvre afin d’appréhender les savoirs. Depuis les travaux d’Howard Gardner[2], nous savons que l’intelligence n’est pas quelque chose de fixe, d’unique mais qui se trouve prendre différentes « formes » selon les personnes.

Le psychologue américain a ainsi élaboré une théorie qui recense pas moins de 8 intelligences spécifiques :


- L’intelligence corporelle / kinesthésique : c’est la capacité à utiliser son corps d’une manière fine et élaborée, à s’exprimer à travers le mouvement, à être habile avec les objets. 

- L’intelligence interpersonnelle : c’est la capacité d’entrer en relation avec les autres.

- L’intelligence intrapersonnelle : c’est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi-même.

- L’intelligence logique-mathématique : c’est la capacité à 
raisonner, à compter et à calculer, à tenir un raisonnement logique. C’est cette forme d’intelligence qui est évaluée dans les tests dits de « Quotient Intellectuel ».

- L’intelligence musicale / rythmique : c’est la capacité à percevoir les structures rythmiques, sonores et musicales.

- L’intelligence naturaliste : c’est la capacité à observer la nature sous toutes ses formes, la capacité à reconnaître et classifier des formes et des structures dans la nature.

- L’intelligence verbale-linguistique : c’est la capacité à percevoir les structures linguistiques sous toutes leurs formes.

- L’intelligence visuelle / spatiale : c’est la capacité à créer des images mentales et à percevoir le monde visible avec précision dans ses trois dimensions.

Dans ce sens, chaque intelligence se trouve plus ou moins développée selon les individus ce qui crée au final une intelligence globale très différente d’un individu à un autre. On perçoit ici qu’il va donc devenir plus difficile de prendre en compte ces diverses formes d’intelligences s’exprimant chez les apprenants que de prendre en compte les seuls rythmes d’acquisition.
 
C’est pour cette raison que l’attention des chercheurs et de certains enseignants se tourne de plus en plus vers un autre outil qui pourrait être une clé (parmi d’autres, bien sûr) à ce problème de prise en compte des différences d’intelligence inhérentes à chacun. Il s’agit du jeu électronique (jeu vidéo ou jeu sérieux[3]).

Tout d’abord, il est important de signaler que, contrairement aux idées reçues, le jeu vidéo n’est pas cet objet pathogène et bêtifiant que certains psychologues et journalistes veulent en permanence nous vendre[4].

De plus, selon des études de plus en plus nombreuses, il semblerait que les jeux vidéo possèdent un véritable potentiel motivationnel, cognitif et éducatif[5].

Enfin, faisant partie de la culture des jeunes d’aujourd’hui, intégrer l’objet vidéoludique dans les apprentissages serait une manière de contribuer à refermer en partie la fracture qui existe entre l’École et son public[6].


La question que l’on se pose devient alors : en quoi le jeu vidéo peut-il être un outil d’enseignement pertinent ? Tout simplement par le fait qu’il va permettre de faire passer les apprentissages par de nouveaux canaux favorisant, faisant écho à des formes d’intelligences qui n’étaient pas ou peu sollicitées auparavant.

Avec le développement des jeux sérieux et des travaux[7] sur le détournement des jeux vidéo afin d’en faire un objet d’apprentissage, il existe de plus en plus de jeux qui permettent aux élèves d’aborder un nouveau savoir par différents chemins.

Il est désormais possible d’utiliser des jeux qui permettent de visualiser des notions plus abstraites ce qui rend les détenteurs d’une intelligence visuo-spatiale plus réceptif. De même, la mise en musique de certains apprentissages permet aux apprenants dont l’intelligence est musico-rythmique d’être mieux réceptifs aux notions abordées.

Il existe de nombreux exemples de ce genre et le perfectionnement des consoles de jeu va accroître l’efficacité de cet outil d’apprentissage. L’un des développements les plus intéressants est celui de la réalité virtuelle[8] qui permet de manipuler (intelligence kinesthésique) certains concepts en temps réel. Bien sûr, il n’est pas question ici de faire de la classe un lieu purement ludique et de remplacer tous les outils déjà existant par l’objet vidéoludique.

Cependant, on pourrait concevoir des classes organisées sous forme d’ateliers (cela se fait déjà en maternelle ou par les enseignants utilisant la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant[9]) dans lesquelles pour une même notion chaque enfant pourrait apprendre avec un support différent : le manuel, jeux vidéo, etc.

Une fois encore, cela suppose de redéfinir le rôle de l’enseignant et de remettre en questions sa formation. De nombreux pays commencent à se tourner vers la gamification de l’enseignement et de nombreux rapports viennent corroborer l’efficacité de l’utilisation du jeu vidéo à l’École[10]. Espérons que notre pays saura prendre le train à la bonne heure pour ne pas être, une fois de plus, à la traine …

Source : Educavox



[1] Perrenoud Philippe, Pédagogie différenciée, Des intentions à l’action, Paris, ESF, 1997.
[2] Gardner Howard, Les formes de l’intelligence, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997.
[3] Ou serious game : “application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game)” (c.f. ALVAREZ Julian, Du jeu vidéo au serious game, Approches culturelle, pragmatique et formelle, Thèse, Toulouse, 2007, p. 9.)
[4] Enseigner avec le jeu vidéo : aspects psychologiques : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video-aspects_15.html
[5] Enseigner avec le jeu vidéo : aspects pédagogiques : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video-aspects_15.html
[7] Enseigner avec les jeux vidéo (dossiers) : http://jtresse-psy.blogspot.fr/p/enseigner-avec-le-jeu-video.html
[8] Réalité augmentée et interactivité : vecteurs de révolution pédagogique ? :http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/realite-augmentee-et-interactivite




Education : Faire face à la violence scolaire





Face à la violence scolaire, l’éducation ?

Dans son article publié sur le Huffington Post et intitulé « Face à la violence scolaire, la pédagogie ? »[1], Béatrice Mabilon-Bonfils (sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise) se propose, en réaction aux nombreux cas d’agressions recensés en ce début d’année scolaire, de répondre aux questions suivantes : « peut-on penser les violences scolaires sans questionner à la fois les inégalités scolaires (sociales, sexuelles, ethniques, culturelles) ? Peut-on penser les violences scolaires sans questionner les modalités de transmission des savoirs et de relations à l’autre que notre école valorise par son fonctionnement même ? »

Au sein de l’analyse que cette professeure d’Université apporte, l’accent est mis sur le paradoxe au cœur duquel l’Ecole est embourbée, de par le pilotage administratif même auquel elle est soumise. En effet, alors que les programmes scolaires visent à faire acquérir aux élèves « la solidarité, l’entraide, l’égalité, la coopération, l’intérêt général, l’acceptation de l’Autre », le pilotage libéral et « évaluationniste » de l’Ecole pousse les enseignants à utiliser la compétition individuelle, à encourager la réussite individuelle, à pratiquer l’évaluation à outrance, à hiérarchiser les élèves, les séries, les établissements, à accepter la ségrégation, parfois l’humiliation, le rejet de l’altérité.

Il est ainsi évident qu’un milieu dans lequel on incite à la violence morale et psychologique contre l’Autre ne peut que favoriser, à terme, l’explosion de violence physique à laquelle on assiste en ce moment. Cela concerne d’ailleurs autant l’enseignant que ses élèves.

On retrouve ce constat dans l’article du Nouvel Observateur intitulé « L’école française, une "fabrique de défiance" ? [2] » (Patrick Fauconnier). Il est notamment dit que « l’école française est une machine à trier, classer et diviser, ce qui en fait un milieu anxiogène où l’élève a sans cesse peur de ne pas être à la hauteur par rapport aux autres. Au sein des 40 pays de l’OCDE, c’est en France que les élèves se sentent le moins « chez eux » à l’école. » Comment pourrait-il en être autrement alors que les enseignants eux-mêmes, de peur de ne pas être à la hauteur des attentes de leurs supérieurs hiérarchiques, se sentent mal-à-l’aise dans leur milieu professionnel, pris dans le paradoxe d’une envie d’innover, de pratiquer des pédagogies incitant au travail de groupe, de coopération, de prise en compte des individualités, d’une part, se heurtant à la réalité administrative, d’autre part : respecter le carcan imposé par les inspections, ne pas sortir du cadre des programmes scolaires, etc.

Il est donc vrai que cette pression qui pèse sur les enseignants se répercute inéluctablement sur leurs élèves, conduisant les plus fragiles, scolairement parlant, à être mis en marge du système. De là, les dérives que l’on connaît, et qui font tristement la une des journaux ces derniers temps, deviennent possible. Aurait-on envie de faire violemment part de sa colère dans un système au sein duquel on se sent bien, au sein duquel on est un acteur utile, à défaut d’être en réussite ?
 
Cependant, le seul fait de se concentrer sur la violence scolaire et la pédagogie ne constitue pas en soit une réponse complète et satisfaisante au problème globale de la violence infantile (qu’elle se manifeste en milieu scolaire ou non). La violence manifestée à l’Ecole par les élèves se trouve également être un prolongement d’une violence ordinaire de plus en plus récurrente dans le cadre familial de l’enfant.

Cette dernière n’est donc plus du seul ressort de l’Ecole et de la pédagogie mais se trouve être étroitement liée au manque d’éducation dont sont victimes les enfants d’aujourd’hui. Un certain nombre de parents ont en effet démissionné de leur rôle de primo-éducateur, laissant ainsi leur enfant à l’abandon. Dans ce sens, imaginons le choc que va recevoir l’élève qui, jusqu’avant d’arriver dans cette nouvelle structure sociale qu’est l’école maternelle, n’avait pas été habitué à un cadre structurant dans lequel certains repères (les règles de vie sociale et collective qu’il retrouvera à l’Ecole) (pré-)existaient. Cette distanciation qui existe entre les attentes parentales (aucune dans certaines familles) est parfois tellement forte que l’enfant rentre violemment en conflit avec ceux (maîtresses et maîtres puis professeurs) qui veulent lui imposer ce cadre indispensable à la bonne gestion de la micro-société-classe (pour le confort de tous).

Ce manque de repères structurants s’accompagne d’ailleurs souvent du fait que l’enfant n’a pas eu la chance de profiter d’un environnement stimulant[3]. Précisons à ce sujet qu’« il ne faut pas confondre environnement stimulant (ou non-stimulant) et milieu [socialement] favorisé (ou défavorisé). L’accès à la culture (musées gratuits, balades en forêts, jeux de société, lectures, etc.) n’est souvent pas une question d’argent mais de temps à consacrer à ses enfants. Certains parents éprouvant des difficultés d’accès à cette culture doivent être aidés afin que leurs enfants entrent dans leur scolarité dans de bonnes conditions. [4] » Ajoutons également qu’il n’est pas non plus question de rejeter ici la faute sur les familles afin de dédouaner l’Ecole d’un problème duquel elle a aussi sa part de responsabilité, tant dans le fait qu’elle contribue à favoriser le terreau sur lequel nait la violence (on l’a vu plus haut) que dans le sens où elle doit tout mettre en œuvre afin de l’enrayer.
La question de la violence scolaire est intimement liée à celle de la violence familiale, elle-même conséquence d’une éducation défaillante reçue par les enfants dès leur plus jeune âge.
 
Si l’on remet tout ce qui vient d’être dit dans une même perspective, il est donc important que, dans notre volonté de « combattre » la violence (et l’échec) scolaire, nous prenions le problème de manière globale : socio-politique d’abord puis scolaire-familial ensuite.

Du premier niveau, il est important de se questionner sur la pression que les politiques favorisant l’individualisme et la compétitivité (par l’évaluation des uns contre les autres) font subir à ceux qui les reçoivent (subissent ?) : les enseignants pris dans le souci constant de respecter à la lettre les attentes de leur hiérarchie d’une part et les parents qui, rencontrant de nombreux problèmes dans leur vie sociale (les petites violence du quotidien) et professionnelle (le stress de garder ou trouver un emploi par exemple), démissionnent de leur rôle de premier éducateur.

Au second niveau, il faut s’interroger sur la mission de l’Ecole afin de permettre une certaine souplesse (ce qui ne veut pas dire un manque d’exigence quant aux enseignements) dans les attentes que l’on fait peser sur ses acteurs. Il faut également réinterroger la place de l’Ecole dans le contexte de la société afin d’instaurer un lien plus fort entre les différents éducateurs que sont les parents et les enseignants[5].

[1] http://www.huffingtonpost.fr/beatrice-mabilonbonfils/violence-scolaire_b_1902905.html?utm_hp_ref=education
[2] http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20120924.OBS3375/l-ecole-francaise-une-fabrique-de-defiance.html
[3] De l’importance d’un environnement stimulant précoce : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/07/de-limportance-dun-environnement.html
[4] Problématique de l’échec scolaire : du milieu (favorisé / défavorisé) à l’environnement (stimulant ou non) … : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/06/problematique-de-lechec-scolaire-du.html
[5] De la rénovation de l’Ecole : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/05/de-la-renovation-de-lecole.html

Source : Educavox.

Thème : EDUCATION ET REFONDATION

4 octobre 2012

Education : La souffrance des enseignants en question





La souffrance des enseignants surgit enfin au premier plan de l’actualité. Il n’est pas trop tôt et j’espère qu’il n’est pas encore trop tard pour qu’elle soit sérieusement pris en compte dans le projet de refondation de l’école.
 
L’expresso (café pédagogique) du mardi 25 septembre donne toute une série d’éléments qui soulignent la gravité du problème : un rapport de l’inspection générale, un rapport d’une mission parlementaire, l’édifiant rapport Debarbieux-Fotinos confirment que les dégâts sont considérables. François Jarraud évoque le « quinquennat du pilotage des enseignants par le mépris » et que rappelle –ce que j’explique depuis fort longtemps- que leur « confiance dans les corps intermédiaires a été largement attaquée ». Il conclut son éditorial par un « il est temps d’agir » plus que pertinent.
 
Le phénomène n’est pas nouveau. L’échec des réformes successives, la régression de la place de l’école dans la société, la frilosité des pouvoirs politiques face à l’urgence de la réforme générale audacieuse dont le pays avait et a besoin, avaient déjà bien entamé « le moral des troupes » et la perception du sens du métier.

Il s’est fortement aggravé en 2005 avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France, conseillant aux maires de choisir les manuels de lecture conformes à ses théories réactionnaires et suggérant aux parents de dénoncer les enseignants récalcitrants que l’on n’appelait pas encore les désobéisseurs. Cette période, que j’ai bien connue, mon conflit avec le ministre avait d’ailleurs été fortement médiatisé, a provoqué des drames dans les relations entre l’école et son environnement, et un découragement généralisé chez tous les enseignants engagés dans des recherches pour l’amélioration de la réussite scolaire. Cette période a fortement dégradé le climat dans les écoles sans qu’il y ait eu de grands combats sur les questions de vie scolaire.

Les cinq années qui ont suivi, 2007/2012, ont été catastrophiques. Une accumulation de mesures imposées, une culture du résultat apparent, une superposition de tâches paperassières dont personne ne comprenait l’utilité, un développement organisé de l’autoritarisme avec prolifération des injonctions et des exigences immédiates, avec un système de primes et de sanctions sans précédent, des animations pédagogiques fortement contestées, un encadrement dont les nouvelles promotions ont été rigoureusement formatées, lui-même oppressé, les contrôles incessants, tout a été conçu et mis en place pour détruire l’école. La seule mesure susceptible de donner un peu de bonne conscience aux décideurs et aux exécutants a été l’aide individualisée, qui n’a rien coûté, qui n’a fait l’objet d’aucune réflexion collective qui est condamnée par tous les spécialistes, de tous les bords politique, et qui est « vomie » par tous les enseignants selon une expression trouvée dans le rapport Debarbieux/Fotinos.

Dans le même temps, la souffrance des professeurs de collège n’a fait que croître, même dans les collèges huppés de centre ville. Faiblesse de l’attention des élèves, difficulté de faire cours, contestation, chahut, avec le retour de cette tentation historique de faire le procès de l’amont, l’école primaire qui ne ferait pas bien son travail, mettant en péril les tentatives ponctuelles d’amélioration des rapports école/collège.
 
La souffrance a été exacerbée, en même temps qu’une déception cruelle, une perte complète d’enthousiasme, un scepticisme dévastateur, en constatant à la rentrée que toutes les dispositions d’un système condamné étaient maintenues et souvent renforcées : les programmes, les évaluations, l’aide individualisée, l’animation pédagogique, les injonctions et contrôles… comme si rien n’avait changé. La continuité républicaine que personne n’avait invoquée en 2007, le refus traditionnel de la gauche de « tout ce qui pourrait paraître comme une chasse aux sorcières », et même la volonté de jouer le jeu de la concertation ont aggravé le malaise.

Curieusement, la question de la souffrance est peu évoquée dans les réunions de concertation. Il est vrai que l’on n’en parlait peu jusqu’alors, que les enseignants sont pudiques et n’avouent pas facilement qu’ils sont en difficulté, que la hiérarchie et les représentants syndicaux minimisent le problème pour protéger l’image de leur établissement ou de leur corps, qu’il reste ici ou là des traces d’une infantilisation historique des enseignants.
 
On construit l’avenir, surtout en proposant d’améliorer le présent plutôt que de refonder le système et de prendre à bras le corps les vrais problèmes. Il ne s’agit pas que des moyens et des points d’indice, des avantages acquis et de ceux à conquérir, il s’agit de la vie des enseignants, des parents, des enfants, de la communauté éducative. Il s’agit de la compréhension du sens du métier, de la reconnaissance réelle de la place de l’éducation dans une société en mouvement accéléré, de l’aide nécessaire à la transformation des pratiques, de la mobilisation pour des projets conjugués, du bonheur d’apprendre et d’enseigner.
 

La souffrance des enseignants au cœur de la refondation ? Pourquoi pas ?

En tous cas, qu’elle soit prise en compte vraiment. Il n’y aura pas de refondation sans une confiance retrouvée, sans quelques parcelles d’enthousiasme pour changer l’école et changer fondamentalement ses pratiques.

Dans un contexte de défiance et de mépris, on se replie instinctivement sur des pratiques simples, que l’on fait semblant de croire éprouvées pour se rassurer, on cherche des coupables ailleurs, les enfants qui ne travaillent pas, les parents qui n’assument pas leurs responsabilité, la société et les médias, on détourne, on résiste passivement, on fait le dos rond devant l’autorité, on triche, mais on ne s’engage pas dans la construction du neuf. « L’ancien se meurt mais résiste, le neuf tarde à voir le jour, dans le clair-obscur surgissent les monstres » (Gramsci).
 
Passer, même progressivement de « l’heure/la classe/la discipline/ le prof » à une organisation plus souple, concertée avec un vrai travail d’équipe, des disciplines ancestrales cloisonnées à une vision moderne des savoirs de l’humanité et de l’importance de l’apprentissage de la pensée, d’un fonctionnement scolaro centré à un projet éducatif global territorialisé, nécessitent de la formation, de l’accompagnement… et de la confiance.
Cela ne sera pas le plus mince des enjeux de la refondation
La tâche sera rude car la rentrée, malgré des mesures quantitatives positives et quelques annonces, a été mal vécue.

Source : Educavox