26 octobre 2012

Education : Le redoublement, cette inutilité débile et stérile




Même si le rapport du Comité de pilotage sur la refondation de l’école n’est pas parfait, il a au moins le mérite de dire nettement certaines vérités, formulées dans le désert depuis bien longtemps, et qu’il est bien agréable de voir enfin écrites noir sur blanc dans un rapport officiel.

Parmi celles-ci, l’affirmation qu’il serait souhaitable de "remplacer progressivement le redoublement coûteux et inefficace par d’autres modes de remédiation".
Si l’on peut se réjouir de voir avoué un tel vœu, il n’en reste pas moins qu’il est avoué à mi-voix et de façon bien timide.

Il est des aberrations tenaces. Notamment celle qui prétend que si l’on n’a pas réussi, il suffirait de recommencer pour que les choses s’arrangent.

Pourtant on voit mal en quoi une seconde version de ce qui n’a pas bien fonctionné une première fois serait plus efficace. La logique la plus élémentaire n’oublie pas d’ajouter au moins un adverbe : recommencer, peut-être, mais AUTREMENT !

Si l’on analyse le redoublement scolaire, on découvre vite que l’adverbe y est parfaitement absent. Même la proposition, pourtant simplette, de faire redoubler au moins dans une classe parallèle pour que ça change un peu, vient rarement à l’esprit de ceux qui le décident. En fait, l’enfant repart pour un tour, rigoureusement le même. Et qui plus est, sans pouvoir bénéficier du seul avantage que lui apporterait ce second tour, celui d’être déjà au courant et de pouvoir enfin briller un peu en sachant répondre aux questions.
En général, en effet, après avoir posé ses questions, l’enseignant se hâte d’ajouter en direction des "redoublants" : "Vous, vous vous taisez ! Vous laissez parler les autres !".
On pourrait appeler cela appliquer la "double peine".

De fait, hormis les cas, où, essentiellement dans les grandes classes, c’est l’élève lui-même qui le souhaite, le redoublement, notamment à l’école primaire, est presque toujours une sanction et souvent traité comme telle par l’enseignant qui retrouve l’élève malchanceux. Force est d’admettre alors que l’effet Pygmalion fonctionne à plein régime : l’étiquette de "mauvais élève" lui colle définitivement sur le front et la seule chance pour lui d’exister en tant que personne est d’y construire son identité et de s’en faire une fierté. Difficile alors, pour ne pas dire impossible, de le sortir de ce cercle qu’on a si bien su rendre vicieux, comme dirait Ionesco.

On a ainsi fait disparaître toute chance de remédiation, ce que confirment les statistiques qui révèlent qu’un élève qui a subi un redoublement — surtout celui du CP — redouble généralement d’autres années ensuite.



Doit-on ajouter les erreurs des présupposés théoriques qui sous-tendent cette pratique ? Elles sont en effet bien connues et dénoncées depuis fort longtemps :

1- faire redoubler l’année présuppose que l’apprentissage serait un stockage linéaire, avançant marche par marche, si bien qu’une marche mal abordée empêcherait d’accéder aux suivantes. Depuis des décennies, il est démontré que l’apprentissage ne s’effectue nullement ainsi, que c’est souvent la suite qui permet de comprendre ce qui a précédé, et qu’apprendre ne consiste pas à empiler des savoirs les uns sur les autres, mais bien de mettre en relation des éléments différents, à la fois de façon horizontale et verticale. La démarche d’apprentissage est spiralaire et non linéaire.

2- faire redoubler l’année présuppose une conception des apprentissages à la fois mécanique et d’une logique purement externe : si des savoirs manquent, il faut reprendre pour combler ces manques. C’est oublier que l’élève est une personne qui a des savoirs et qu’apprendre n’est en rien combler les manques qui apparaîtraient dans ses savoirs : apprendre, c’est transformer, réajuster, reconstruire ses propres savoirs. Il ne peut donc s’agir d’en rajouter une couche pour que la réussite arrive.

3- faire redoubler l’année présuppose que l’échec est dû essentiellement à l’élève, qui n’aurait pas bien écouté, et pas suffisamment travaillé à mémoriser ce qu’il a écouté. Comme on sait, l’élève, pour apprendre, n’a ni à écouter, ni à mémoriser : il a à comprendre et à s’ajouter ce qu’il a compris. Mais comme dans la majorité des cas, ce n’est pas du tout ce qu’on lui a proposé et qu’il n’a eu qu’à écouter et à mémoriser des choses où il ne retrouvait rien de ce qu’il savait auparavant, il n’a pu en tirer parti. Recommencer de la même manière ne peut qu’aggraver les choses. L’échec ne peut donc être le fait de l’élève, mais celui de l’inadaptation du travail d’enseignement, qui, précisément, n’a pas pris en compte les savoirs-déjà-là de l’élève, et n’a pas proposé de situations permettant de construire le savoir nouveau.

4- faire redoubler l’année présuppose enfin que le prétendu "niveau" de l’élève est plus important que son âge. C’est ainsi que, de redoublements en redoublements un élève peut avoir deux, voire trois ans de plus que les autres élèves de la classe. A l’âge de l’école primaire, cette différence est catastrophique, d’autant plus que le redoublement isole l’élève de ses copains.

Il est accablant d’humiliation pour un enfant de onze ans d’être avec des camarades de huit ans, surtout avec un statut d’infériorité. Et rien de positif ne peut sortir de cette honte, si ce n’est le fait d’utiliser cette supériorité d’âge pour faire le "mariole" voire bien pire...

Quand on a décidé de regrouper les enfants par classe d’âge — on pourrait parfaitement faire autrement, mais comme ce n’est pas près d’arriver, essayons au moins de rendre ce type de groupement aussi cohérent et positif que possible — il faut s’y tenir et les laisser avec ceux de leur âge : la notion de "niveau" n’a aucun sens. Si la solidarité est installée dans la classe, et si le travail d’équipe solidaire est quotidien, le prétendu retard du redoublant présumé sera vite oublié.

Du reste, et contrairement à ce qu’une logique au ras des pâquerettes laisse supposer, l’ordre d’acquisition des savoirs n’a rien d’impératif : c’est une invention de l’école que rien ne justifie. A partir du moment où la confiance en soi a été installée et maintenue, tout élève peut entrer dans le savoir par n’importe quelle porte : les prétendue "bases" se déduisent d’elles-mêmes et peuvent toujours être rattrapées par la suite.
Lorsque nous avons décidé, dans les années 80 de supprimer le redoublement du CP, nous avons maintes fois constaté la véracité de ce fait.
Certes cela implique que l’on aide les collègues à quitter leurs habitudes frontales pour apprendre à utiliser les pairs dans l’aide aux difficultés qui apparaissent, et pratiquer le travail de groupe.

Une fois de plus, on se rend compte que c’est l’enseignant qu’il faut aider et soutenir, pas l’élève ! Et nous voilà de nouveau face aux problèmes de formation...
C’est aussi pour cela qu’il faut abolir le redoublement : sa disparition va créer des besoins de formation, qui n’apparaîtront peut-être pas sans cela.

Il est des abolitions qu’on n’effectue pas progressivement : celle-là en est une. Elle n’est pas la seule.

Source : Educavox.

Education-Refondation : Comment parvenir à la nécessaire mutation ?




Nous vivons une mutation de civilisation et l’école doit se reconfigurer pour le 21 ème siècle.

De là cette situation où la refondation prometteuse se heurte à un faisceau de résistances massives à tel point que le ministre doit amortir les implications d’une finalité dite avec prudence. Cette prudence elle permet le déni de ceux qui ne veulent pas lire ce qui est écrit, faire comme si cela n’existait pas pour éviter le conflit latent radical. L’amortissement favorise la focalisation sur des questions accessoires même importantes pour éviter le dévoilement des implications de ce qui est écrit. On peut faire comme si l’accessoire était l’essentiel et l’essentiel accessoire, très secondaire. Détournement du sujet, détournement de l’objet de la refondation.

Il reste que le ministre veut établir des dispositifs qu’il met hors de contrôle de l’Education Nationale. Instance des programmes auprès du premier ministre, Instance d’évaluation de l’école indépendante, Ecole de formation du professorat et de l’éducation (et sa panoplie de métiers futurs), Ecole des hautes études de l’éducation nationale pour éclairer les français, Rôle des régions et des acteurs des communautés locales... Pour qui sait lire des moyens stratégiques se mettent en place pour que la nation et ses responsables puissent reprendre en main une institution repliée sur ses propres fins. C’est une institution monstrueuse dont les membres sont dans l’ensemble aveugles sur les enjeux et les conditionnements auxquels ils se sont voués corps et âmes pour beaucoup.

Un analyseur est la mutation de civilisation qui ébranle les édifices d’un monde en fin d’histoire. Parmi tous les pays impactés, la France est particulièrement désignée pour vivre la plus grande difficulté de par ses rigidités historiques et l’école en est le symptôme.


 

La mutation un exercice de prospective humaine. 

Le passage d(une civilisation centrée sur les représentations mentales et le magistère de la raison à une civilisation du Sens centrée sur l’homme en tant que personne en voie d’autonomisation, vivant au sein de communautés engagées dans le Sens du bien commun et de mondes virtuels qui augmentent la réalité commune par le jeu des relations de proximité à distance. Internet en est le laboratoire.

Trois renversements de logiques sont en jeu. 

Passage d’une logique de conformation associée à l’universalisme rationaliste (19ème siècle) à une logique d’autonomisation responsable des hommes et leurs communautés. Le premier blocage par exemple entre la posture disciplinaire centrée sur le savoir formel et la problématique pédagogique centrée sur la personne. Les experts en conformation vivent cela comme un effondrement intolérable de leur valeur et de leurs compétences. Ils ne le tolèreront pas ou s’effondreront moralement si on n’entreprend pas une analyse des fondements épistémologiques.

Passage dune logique du réalisme fataliste du matérialisme à une logique du virtuel et du développement des virtualités humaines dans l’édification de l’homme et des mondes humains. « Les choses sont ce qu’elles sont fatalement » à « tout est projet, engagement et développement des qualités humaines ». Le combat contre l’adversité et la nécessité se trouve disqualifié par les enjeux de développement humain, une pédagogie de l’humanité où vivre c’est devenir et non survivre. Les anciens combattants ne lâcheront pas prise, défendront la forteresse assiégée, prêts à un fort Chabrol s’il le faut. L’action humaine change de logique passant du rapport de force à la culture des richesses humaines.

Passage d’une logique individualiste à une logique de participation communautaire. L’émancipation de l’individu, l’apologie des droits individuels (sans les devoirs), le relâchement des contraintes morales et économiques ont favoriser l’idéal d’une souveraineté individuelle d’un libre arbitraire d’autant plus désirable et revendiqué que l’école en est le contre point. L’école de l’égalité est resté celle des mérites individuels soutenus par les conditionnements socio-culturels pour la sélection des élites. L’implication du tissu relationnel dans les activités et les situations communautaires à la place de la détermination administrative de l’Etat central met les personnels de l’Education Nationale dans une double contrainte. Sortir de la dépendance formelle de l’Etat pour entrer dans une dépendance responsable dans la communauté locale. L’individualisme nourri d’abstraction se trouve confronté à la responsabilité personnelle en communautés là ou toute profession se détermine. Crise des valeurs radicale.

Nous avons là trois sources d’une crise majeure dont la violence des symptômes peut être à la mesure des remises en question historiques. Pourquoi tant de tensions ? Parce que les positions traditionnelles font commerce avec le sacré. En effet l’école républicaine s’est définie en confrontation avec la religion catholique et son projet a été de remplacer cette religion par une religion républicaine. Le livre de Vincent Peillon : « Une religion pour la République » est très éclairant là-dessus. Seulement il y a plusieurs conceptions de la « religion républicaine ». Il y a celle du père du concept de la laïcité Ferdinand Buisson et son libéralisme spirituel et il y a celles qu’il dénonce comme dogmatismes de remplacement du dogmatisme catholique et sont nommés : le rationalisme, le matérialisme, le positivisme, le jacobinisme, le scientisme... Voilà le problème, un problème de guerre de religion à l’intérieur même du modèle républicain et au lieu même de ce qui en fait le coeur : l’école.

BRAVO !

La solution c’est la mutation de civilisation du monde actuel et un des moyens en est son laboratoire : internet. Mais c’est un autre chapitre.


source : EDUCAVOX.


23 octobre 2012

Education-Refondation : Dominer par l'économie ?





L’éducation paraît partout en crise. Les plus grandes écoles se posent des questions non seulement sur l’avenir de l’éducation, mais également sur comment apprendre à l’heure des nouvelles technologies. Comme si leur intégration nécessitait de reposer en profondeur la question de l’apprentissage dans une société qui nous semble toujours plus complexe.

Pourtant, les résultats de l’informatisation à l’école n’ont pas été forcément ceux attendus : comme le soulignait l’année dernière Matt Richtel dans sa série pour le New York Times. Là où il s’est installé, le numérique n’a pas eu d’effet majeur sur les résultats scolaires des élèves. Partout, son intégration pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses.


Quand la question économique prime sur la réponse éducative

Nicholas Negroponte, le fondateur du Media Lab du MIT et le promoteur du programme OLPC allait récemment, dans une tribune pour la Technology Review jusqu’à défendre l’apprentissage sans école.

Dans le cadre d’une expérimentation menée en Ethiopie, un pays où la structure scolaire est quasiment inexistante, la fondation OLPC a prêté à des enfants ne sachant pas lire, vivant dans une région sans écoles ni professeurs, des iPad chargés de contenus (et dotés de batteries solaires pour être rechargés)… pour constater (comme l’avait constaté avant lui en Inde Sugata Mitra avec son expérience un trou dans le mur) que les enfants non scolarisés, mais outillés étaient capables de se débrouiller seuls pour apprendre. “Pouvons-nous apprendre à lire à 100 millions d’enfants plus rapidement [et pour moins cher, NDT] que nous le ferions en bâtissant des écoles et en formant des professeurs ? (…) Si les enfants d’Ethopie apprennent à lire sans école, qu’est-ce qu’ils nous disent des enfants de New York qui n’apprennent pas à lire, même avec des écoles ?”

Quand bien même les enfants montreraient qu’ils sont capables d’apprendre à lire par eux-mêmes, est-ce que cela peut justifier de remplacer des politiques éducatives “en dur” par des tablettes ?

La radicalité du propos de Nicolas Negroponte s’explique peut-être par l’échec relatif de l’OLPC. Lancé en 2005 et malgré plus de 2,5 millions d’ordinateurs livrés aux enfants de plus de 40 pays (pour l’essentiel des pays en développement), l’OLPC n’a pas fait la démonstration de son efficacité. Une étude indépendante menée par cinq économistes de la Banque interaméricaine de développement soulignait, début 2012, qu’au Pérou par exemple, le déploiement massif d’OLPC n’avait pas eu les effets escomptés. Après plusieurs années de déploiement, les résultats des élèves n’ont pas été transformés par l’usage de l’informatique.Si la distribution des ordinateurs a eu un effet positif sur les compétences cognitives des élèves (particulièrement sur l’usage des ordinateurs), elle n’a pas eu d’impact significatif sur leurs connaissances scolaires, que ce soit en math ou en espagnol. La conclusion qu’en tiraient les auteurs de l’étude IZA c’est que l’ordinateur seul ne suffit pas à relever le niveau, s’il n’est pas accompagné d’une formation des professeurs et d’une meilleure intégration dans les programmes scolaires.

Mais Nicholas Negroponte a pu faire une autre lecture de ce mauvais bilan. Finalement, si le programme OLPC a eu un impact limité, c’est peut-être parce que les professeurs n’ont pas suffisamment intégré les capacités de ces machines dans leurs enseignements. Pour lui, visiblement, c’est la structure de l’école plus que la machine qui est en cause. Certes, là où il n’y a rien, un ordinateur est une meilleure réponse que le vide. Mais est-ce une réponse bien structurante ? Certes, livrer des ordinateurs ou des iPad coûte moins cher que de payer des professeurs et bâtir des écoles, mais pour quelle pérennité éducative ? J’ai bien peur que Nicholas Negroponte, sous des dehors altruistes, se fourvoie. En tout cas, il piétine les objectifs d’une éducation pour tous promus par l’Unesco depuis nombre d’années, pour qui il n’y a pas d’éducation sans écoles, sans enseignants, sans construction d’une structure éducative adaptée.

A défaut de faire la démonstration de leur apport éducatif, cet exemple montre bien que la question économique est au coeur de la question scolaire et que plus que renouveler l’apprentissage, les nouvelles technologies remettent en question l’économie même de l’éducation… Les TICs offrent une solution d’apprentissage qui n’est pas plus parfaite que l’éducation traditionnelle, mais qui risque bien de déstabiliser en profondeur le modèle scolaire que nous connaissions jusqu’alors, en proposant une offre censée être plus économique (même si Matt Richtel, encore, a montré que les économies n’étaient peut-être pas aussi évidentes que les tenants de l’électronique à l’école l’affirmaient : voir “Education et nouvelles technologies : y croire ou ne pas y croire ?”).

Mooc : de nouvelles infrastructures éducatives ?

Source : Educavox